D’abord tu n’y crois pas. Tu sors de l’hôtel, tu tournes à droite, tu empruntes la Galerie du Prince, tu en ressors à l’autre bout, tu tournes à droite et tu y es — ce qui veut dire que si tu tournes à gauche en sortant de l’hôtel, et encore à gauche au coin de la rue, tu obtiens le même résultat.
Tu résumes : l’hôtel et le cinéma sont dans le même bloc.
Plus ou moins, on ne revient pas sur les détails.
Tu lèves les yeux parce que tu as l’impression qu’un char de Carnaval s’est encastré dans la façade de l’immeuble, mais c’est bien là. Tu es au Nova. C’est ici que ça a lieu. C’est au centre ville, c’est à deux pas de la Grand Place, tu te dis que c’est sur les circuits touristiques — d’ailleurs, des bus rouges et jaunes sur deux étages croisent ton chemin régulièrement.
Tu entres, les programmes sont à disposition, tu en prends plusieurs, tu vérifies l’heure de la première séance — un film américain sur une adolescente en pleine crise d’identité. Tu feuillètes les pages de la programmation, tu te dis que tu as raté beaucoup de choses mais tu ne peux pas tout faire.
Tu reviens à l’heure dite, un peu avant pour rencontrer les programmateurs et récupérer ton pass. Tu t’es armé de courage, tu te dis qu’il va falloir batailler sûrement, montrer patte blanche. Tu es surpris que ça se passe avec le sourire et que ça prenne une dizaine de minutes tout au plus. On te propose le balcon parce que tu y seras mieux — en effet : non seulement tu seras plus tranquille, mais tu pourras admirer le processus de doublage révolutionnaire qui allège les coûts de distribution des films à l’étranger. Tu t’installes, le film te surprend : il te plaît, tu t’attendais à une bluette, mais non.
Tu en discutes avec Fred A. qui boit une bière au bar, au sous-sol. Tu notes que la vie est plus simple quand la salle de cinéma est couplée avec un bar digne de ce nom où non seulement on passe de la (bonne) musique, mais on sert à dîner. Tu ondules un peu des reins au rythme des basses, parce que tu te sens bien aux Pink Screens et que tout y est facile.
Le séjour ne démentira pas cela.
Tu vois des court-métrages pornographiques féministes, tu découvres un réalisateur allemand que tu ne connaissais pas, tu assistes en avant-première belge (mais tu as eu l’honneur de le voir et de le primer à la Queer Palm de Cannes) au dernier film de Greg Araki. La salle est vivante, elle tape dans les mains quand la réplique fait mouche — la fille bande les yeux de son copain le soir de son anniversaire, elle est rejointe sur le lit par un autre homme dont la bouche s’active sur la poitrine du garçon attaché : le bandeau tombe, les corps s’emmêlent, le public applaudit.
Tu rencontres l’équipe, tu parles cinéma, tu prends des contacts, tu noues des liens, tu échanges des adresses mail et des numéros de téléphone, tu n’en reviens pas, au retour en France, de ce que deux jours aux Pink Screens t’ont apporté en opportunités et en satisfactions.
Tu te dis que tu reviendras pour les 10 ans, l’année prochaine.
Tu racontes, tu voies les sourires qui naissent sur les visages de ta propre équipe et ton enthousiasme est communicatif.
Tu dis que c’est ce que tu veux : un festival qui est une fête.
Vous vous y employez.Laurent Herrou